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II/ Marianne, philosophe et coquette
« Dans ce temps, on se coiffait en cheveux, et jamais créature ne les a eus plus beaux que moi ; cinquante ans que j’ai n’en ont fait que diminuer la quantité, sans en avoir changé la couleur, qui est encore du plus clair châtain.
M. de Climal les regardait, les touchait avec passion ; mais cette passion, je la regardais comme un pur badinage. Marianne, me disait-il quelquefois, vous n’êtes point si à plaindre : de si beaux cheveux et ce visage-là ne vous laisseront manquer de rien. Ils ne me rendront ni mon père ni ma mère, lui répondis-je. Ils vous feront aimer de tout le monde, me dit-il ; et pour moi, je ne leur refuserai jamais rien. Oh ! pour cela, monsieur, lui dis-je, je compte sur vous et sur votre bon cœur. Sur mon bon cœur ? reprit-il en riant ; eh ! vous parlez donc de cœur, chère enfant, et le vôtre, si je vous le demandais, me le donneriez-vous ? Hélas ! vous le méritez bien, lui dis-je naïvement.
À peine lui eus-je répondu cela, que je vis dans ses yeux quelque chose de si ardent, que ce fut un coup de lumière pour moi ; sur-le-champ je me dis en moi-même : Il se pourrait bien faire que cet homme-là m’aimât comme un amant aime une maîtresse ; car enfin, j’en avais vu, des amants, dans mon village, j’avais entendu parler d’amour, j’avais même déjà lu quelques romans à la dérobée ; et tout cela, joint aux leçons que la nature nous donne, m’avait du moins fait sentir qu’un amant était bien différent d’un ami ; et sur cette différence, que j’avais comprise à ma manière, tout d’un coup les regards de M. de Climal me parurent d’une espèce suspecte.
Cependant, je ne regardai pas l’idée qui m’en vint sur-le-champ, comme une chose encore bien sûre ; mais je devais bientôt en avoir le cœur net ; et je commençai toujours, en attendant, par être un peu plus forte et plus à mon aise avec lui. Mes soupçons me défirent presque tout à fait de cette timidité qu’il m’avait tant reprochée ; je crus que, s’il était vrai qu’il m’aimât, il n’y avait plus tant de façons à faire avec lui, et que c’était lui qui était dans l’embarras, et non pas moi. Ce raisonnement coula de source : au reste, il paraît fin, et ne l’est pas ; il n’y a rien de si simple, on ne s’aperçoit pas seulement qu’on le fait. » (p.71-72)