Описание слайда:
III/ Casanova: autobiographie et désir dans l’Histoire de ma vie
Henriette : du désir à l’utopie de la reconnaissance amoureuse
Qu’entend-on, me disait un jour Henriette, par ce mot durable ? Si on entend perpétuel, immortel, on a raison : mais l’homme ne l’étant pas, le bonheur ne peut pas l’être : sans cela tout bonheur est durable, car pour l’être il n’a besoin que d’exister. Mais si par bonheur parfait on entend une suite de plaisirs diversifiés et jamais interrompus, on a encore tort ; car en mettant entre le plaisir, le calme qui doit succéder à chacune d’eux après la jouissance, nous nous procurons le temps de reconnaître l’état heureux dans leur réalité. L’homme ne peut être heureux que quand il se reconnaît pour tel, et il ne peut se reconnaître que dans le calme. Donc sans le calme il ne serait jamais heureux. Donc le plaisir, pour être tel, a besoin de finir. Que prétend-on donc dire par le mot durable ? Nous arrivons tous les jours au moment où désirant le sommeil nous le mettons au-dessus de tout autre plaisir ; et le sommeil est la véritable image de la mort. Nous ne saurions lui être reconnaissants que quand il nous a quittés.
Ceux qui disent que personne ne peut être heureux pendant toute la vie parlent aussi au hasard. Le philosophe enseigne le moyen de composer ce bonheur, si celui qui veut se le faire reste exempt de maladie. Tel bonheur qui durerait toute la vie, pourrait être comparé à un bouquet composé de plusieurs fleurs qui feraient un mixte si beau, et si d’accord qu’on le prendrait pour une seule fleur. Quelle impossibilité y a–t-il que nous ne passions ici toute notre vie, comme nous avons passé un mois toujours sains, et sans que rien nous manque ? Pour couronner notre bonheur, nous pourrions en âge très avancé mourir ensemble, et pour lors notre bonheur aurait été parfaitement durable. La mort pour lors ne l’interromprait pas ; mais elle le finirait. Nous ne pourrions nous trouver malheureux que supposant la possibilité de notre existence après la fin de la même existence, ce qui me semble impliquant. Es-tu de mon avis ?
C’est ainsi que la divine Henriette me donnait des leçons de philosophie raisonnant mieux que Cicéron dans ses Tusculanes ; mais elle convenait que ce bonheur durable ne pouvait se vérifier dans deux individus qui vivraient ensemble qu’étant amoureux l’un de l’autre, tous les deux sains, éclairés, suffisamment riches, sans autres devoirs que ceux qui les regarderaient eux- mêmes, et ayant les mêmes goûts, le même caractère à peu près, et le même tempérament. Heureux les amants dont l’esprit peut remplacer les sens lorsqu’ils ont besoin de repos ! Le doux sommeil vient ensuite qui ne finit que lorsqu’il a remis le tout dans la même vigueur. Au réveil, les premiers à se présenter vivants sont les sens empressés de remettre l’esprit en haleine. (I, 636-637